
Rarement avons-nous vécu une étape qui nous a autant questionné, sur nous-mêmes et sur notre voyage. Tout commence la veille de notre arrivée à Cochabamba, quand la personne qui devait nous accueillir nous informe qu’elle ne peut plus nous recevoir. Ça n’est pas la première fois1)Ça nous est arrivé deux fois au Chili, à Puerto Natales et à Antofagasta, et une fois en Bolivie à Sucre., bien sûr, mais c’est toujours déprimant : on sait qu’il est impossible de trouver un nouvel hôte à la dernière minute et on se prépare donc à un nouveau séjour en hôtel. On passe par internet pour repérer quelques adresses et ne pas trop avoir à chercher avec nos sacs sur le dos. Du coup, on se retrouve dans un très bel hostel, entre touristes occidentaux (ici, on dit gringo), avec tout le confort moderne. Bolivie, où es-tu ?

Dans la ville, on repère rapidement les marchés où on peut manger pour pas cher, on se promène dans le centre historique au style colonial et on visite la demeure de Simon I. Patiño, riche propriétaire minier du début du XXème siècle. Cette dernière maison est indécente de richesse, avec ses dorures et ses jardins proprets. Même si c’est désormais un musée et le siège d’une fondation culturelle, on ne peut pas s’empêcher de se demander ce que ressentent les boliviens à la vue d’une telle bâtisse.

Au bout de deux jours, devant le caractère bien peu authentique de ce début de séjour, nous décidons de changer d’hôtel. On se retrouve maintenant à mi-chemin des deux marchés de la ville, dont l’un est tout simplement le plus étendu de tout le continent ! On poursuit nos visites, en montant les mille marches qui montent au Christ qui surplombe la ville et en nous promenons dans le pueblito, petit village aujourd’hui intégré dans Cochabamba et qui a été le siège de la première tentative de fondation de la ville.

D’où vient qu’on n’arrive pas à se sentir bien ici ? Pourquoi se traîne-t-on ce léger vague-à-l’âme ? Est-ce que ça vient du fait qu’on ne trouve pas d’hôtes ? Qu’on commence à avoir un peu mal au ventre2)Oui, même après 11 mois de voyage en Amérique du Sud, on n’est pas immunisés contre toutes les cochonneries qui traînent dans l’eau du robinet ou dans la nourriture qu’on achète dans la rue… et qu’on est de nouveau essoufflés3)Ben oui, Cochabamba, c’est à environ 2500 mètres d’altitude et, pour ne rien arranger, la ville est très polluée. ? Est-ce que c’est notre voyage lui-même qui commence à nous fatiguer ou est-ce une petite déprime passagère ? Finalement, on prend deux décisions. À court terme, on va aller à la campagne : plusieurs villages dans les environs de Cochabamba retiennent notre attention. À moyen terme, si on ne trouve pas d’hôtes sur La Paz, on quittera rapidement le pays.

On quitte donc la ville une journée pour aller visiter un petit village colonial à une trentaine de kilomètres : Tarata. Le village est très sympathique et il y a énormément de vestiges datant de la colonisation. Il faut dire que de nombreuses figures nationales majeures sont issues de Tarata : Esteban Arze, un des héros de l’indépendance de l’Alto Perú, le Général Melgarejo, président de la république du XIXème, et le Général Barrientos Ortuño, président de la république dans les années 1960. C’est d’ailleurs lors du mandat de ce dernier que Che Guevara a été abattu par l’armée Bolivienne.

On passe par l’office de tourisme : est-ce qu’on peut visiter le musée ? Réponse de l’employé : non, je n’ai pas la clé ! Bon, et la tour de l’horloge ? Pas de clé non plus ! Bigre, on manque de chance. On s’installe sur la place principale et on commence à lire la documentation qu’on nous a remise. Quelques minutes plus tard, on voit réapparaître l’employé de l’office de tourisme qui vient à notre rencontre : une des femmes de ménage a les clés des différents monuments de la ville et il est prêt à nous ouvrir le musée. Au final, on passera environ 4 heures en sa compagnie : on a le droit à une visite guidée de l’ensemble du village ! Tout y passe : le musée, l’église, le couvent, le palais consistorial et la tour de l’horloge. Notre guide est un puits de culture intarissable ! On rentre le soir à Cochabamba avec le moral en hausse.

Le lendemain, on part pour un village plus lointain : Toro Toro. Le village fait partie d’un parc national proposant des expéditions variées. On s’y sent si bien qu’on y reste 4 jours ! Difficile de faire la liste de tout ce qu’on aura l’occasion d’y faire : se baigner dans un canyon, admirer des empreintes de dinosaures, visiter une des grottes les plus profondes de Bolivie… Notre hôtel est fui par les gringos : pas très propre, pas très confortable, pas très beau. Mais nous, on s’en fout ! On s’installe dans une petite chambre au dernier étage avec vue sur les montagnes environnantes. La cour est un vrai capharnaüm : on n’est pas surpris d’y voir sécher des peaux de bêtes et d’y assister à la mise à mort … d’une chèvre (dans des conditions d’hygiène plus que douteuses). Sur la façade de l’hôtel, il est écrit : «ici essence, gasoil, poulet». Tout un programme, non ?

Je sais que mon article est un peu long, mais je ne résiste pas au plaisir de vous raconter une dernière anecdote ! On passe la dernière journée à Toro-Toro en compagnie d’un groupe de 4 touristes qui voyagent ensemble dans la même voiture : un australien (le conducteur), une française, une canadienne et une italienne. Tout ce petit monde est fort sympathique et on sent qu’ils vivent une aventure formidable. Mais, au cours des visites que nous ferons ensemble, ils ne cessent de parler entre eux en anglais (d’ailleurs, deux d’entre eux parlent difficilement espagnol alors qu’ils traversent des pays hispanophones depuis plusieurs mois…) de choses et d’autres, pendant que nous discutons avec le guide de son pays, de sa région, de la végétation qui nous entoure, etc. N’y voyez pas là un jugement de valeur : leur démarche est tout à fait respectable ! Simplement, elle nous fait prendre conscience de la singularité de la nôtre et nous rappelle pourquoi nous sommes là : pour aller à la rencontre des habitants, avant tout !
Denis
PS : Il y a un an… on quittait notre appartement du Mail des Reines, à Aubervilliers.
References
1. | ↑ | Ça nous est arrivé deux fois au Chili, à Puerto Natales et à Antofagasta, et une fois en Bolivie à Sucre. |
2. | ↑ | Oui, même après 11 mois de voyage en Amérique du Sud, on n’est pas immunisés contre toutes les cochonneries qui traînent dans l’eau du robinet ou dans la nourriture qu’on achète dans la rue… |
3. | ↑ | Ben oui, Cochabamba, c’est à environ 2500 mètres d’altitude et, pour ne rien arranger, la ville est très polluée. |